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Publié le 11 mars 2024

Valeurs-cibles pour l’orientation de l’armée à long terme

Que signifie « développement des forces armées axé sur les capacités » ?

Le Développement de l’armée, en tant que projet de réforme, s’est terminé à la fin de l’année 2022; le processus de développement continu se poursuit cependant et s’oriente sur les capacités que l’armée se doit de maintenir ou d’acquérir en sa qualité de système global pour maîtriser les menaces et les dangers à venir. Font partie de ces capacités la planification de l’action, la recherche de renseignements, la sauvegarde de la souveraineté sur l’espace aérien, la lutte contre les actions offensives, les prestations logistiques et sanitaires ou encore le transport aérien.

Afin de définir les capacités dont l’armée aura besoin à court, moyen et long terme, il faut d’abord analyser le contexte stratégique dans lequel s’inscrit la Suisse sur le plan de la sécurité, en particulier les évolutions et tendances politiques, militaires, sociétales et technologiques. À cet égard, ce sont les rapports du Conseil fédéral sur la politique de sécurité qui sont déterminants, car ils analysent la situation de manière détaillée et montrent jusqu’à quel point le profil de capacités de l’armée lui permet de réagir rapidement, judicieusement et efficacement aux possibles menaces et dangers.

L’armée élabore des scénarios, afin de pouvoir évaluer ces menaces et dangers. Lors de cette appréciation, elle tient notamment compte de la probabilité d’occurrence et de l’ampleur des dommages escomptés. Sur cette base, divers profils de capacités sont développés. Ces profils permettent de gérer de manière plus ou moins efficace les menaces et dangers décrits dans les scénarios en question. L’un de ces profils de capacités est finalement sélectionné pour la mise en œuvre, définissant ainsi les valeurs-cibles pour l’orientation de l’armée.

La détermination d’un profil de capacités donné est nécessaire, car l’armée, pour des raisons financières, ne peut pas développer toutes les capacités de manière à être préparée au mieux à tous les scénarios. En lieu et place, elle doit fixer des priorités, ce qui signifie qu’elle doit renoncer à certaines capacités.

En comparant les profils de capacités actuels et futurs, il est possible d’identifier les lacunes et de les combler. L’armée a élaboré différentes options de développement à cet effet.

Le développement axé sur les capacités est un processus continu. Il a été pensé de sorte que de nouveaux constats puissent toujours être pris en compte, en particulier les leçons tirées des conflits armés ainsi que les risques et les chances découlant des progrès technologiques.

Le profil capacitaire actuel de l’armée

Le profil de capacités actuel de l’armée est subdivisé en dix domaines, auxquels sont affectés différents moyens et systèmes. Plus leur quantité et leur qualité sont élevées, plus ces domaines sont accentués, comme le montrent les barres correspondantes dans le diagramme ci-après.

Le domaine de capacités «Effet contre des cibles aériennes» montre par exemple les moyens dont dispose l’armée aujourd’hui afin de lutter contre les attaques venues du ciel. Ceux-ci sont toutefois dépassés et ne permettent que partiellement de contrer les nouveaux types de menaces. Afin de maintenir le niveau de capacités, il est donc nécessaire de procéder au remplacement du matériel existant par des moyens plus modernes (qualité). En augmenter le nombre (quantité) permettrait en outre d’améliorer le niveau en question.

Les enseignements de la guerre en Ukraine

Lorsque la Russie a attaqué militairement l’Ukraine le 24 février 2022, la question s’est posée de savoir si le profil de capacités de l’Armée suisse correspondait aux exigences à venir du point de vue de la capacité de défense et de la disponibilité. Au vu de l’évolution de la situation sur le plan de la sécurité, le Conseil fédéral et le Parlement ont décidé de traiter prioritairement certains projets d’armement, grâce à un programme d’armement 2022 complémentaire et à une hausse progressive du budget de l’armée; le but étant de renforcer la capacité de défense. S’agissant des projets d’armement pour les prochaines années, les priorités ont donc été redéfinies en tenant compte des différentes leçons tirées de la guerre en Ukraine, dont voici un aperçu.

Depuis l’annexion russe de la Crimée, le conflit armé en Ukraine était caractérisé par l’utilisation de moyens hybrides, mais il a finalement débouché sur une attaque avec des moyens militaires conventionnels. Aujourd’hui, la guerre se déroule dans tous les espaces d’opération.

Les incursions terrestres de la Russie sont menées à la fois par des formations mobiles légères et par des troupes mécanisées lourdes, avec l’appui d’avions de combat, d’hélicoptères de combat et de drones ; l’armée russe a également recours à des moyens de guerre électronique, à des pièces d’artillerie et à l’infanterie. Quant aux forces ukrainiennes de défense, outre les chars de combat, les pièces d’artillerie et les drones, elles utilisent également des forces légères équipées d’armes transportables de défense antichars.

Dans l’espace aérien, malgré sa grande supériorité, la Russie n’a pas encore réussi à établir une domination totale. L’Ukraine doit cela à une défense sol-air hautement mobile, capable d’éliminer les menaces sur de moyennes et longues distances. Les forces ukrainiennes réussissent en effet à abattre un nombre de drones, de missiles de croisière et de missiles balistiques, même hypersoniques, beaucoup plus élevé que prévu. Le réapprovisionnement permanent en systèmes et munitions par l’Occident contribue de manière déterminante à la protection de l’espace aérien, en particulier inférieur.

Dans le cyberespace et l’espace électromagnétique, la guerre avait commencé bien avant l’invasion militaire. Les opérations cyber russes, surtout dirigées contre des institutions et infrastructures critiques étatiques, notamment contre les installations d’approvisionnement en énergie, les services gouvernementaux et les prestataires bancaires, ont cependant été moins étendues que supposé. Elles ont avant tout servi à préparer ou à encadrer des attaques militaires conventionnelles.

Les deux parties en guerre utilisent en outre une variété de moyens de communication civils et militaires à des fins stratégiques et propagandistes. Pour l’Ukraine attaquée, il est essentiel que le gouvernement et l’armée disposent de réseaux de communication protégés et d’un solide système d’interception des communications.

Indépendamment des espaces d’opération, la guerre montre une fois de plus que l’exploration est un facteur déterminant dans les opérations militaires. Un défenseur en infériorité numérique doit pouvoir établir rapidement une image globale de la situation afin d’anticiper les actions de l’adversaire. Il a besoin à cet effet d’informations provenant de satellites, d’avions de reconnaissance, de drones et d’autres capteurs; il collecte également certaines informations auprès de partenaires. La mise en réseau de ces capteurs avec des moyens d’action permet déjà de faire la différence.

Une autre condition est essentielle pour garantir une défense efficace: il faut que la logistique fonctionne et que l’approvisionnement en munitions, matériel et carburant soit suffisant. Le fait que l’armée ukrainienne ait pu se défendre aussi longtemps (et qu’elle continue de résister) est aussi et surtout dû à la livraison constante de matériel d’armement provenant des États-Unis ainsi que de l’UE et de ses États membres. Font partie de ce matériel des armes de défense antichars, des systèmes de défense contre avions, des pièces d’artillerie et d’importantes quantités de munitions.

Ces observations confirment pour l’essentiel les hypothèses qui ont été faites dans les rapports de base de l’armée en lien avec le déclenchement d’un conflit armé, surtout en ce qui concerne l’importance de la mobilité protégée, de la défense sol-air et d’une cyberdéfense résistante. Les lacunes de capacités qui ont été identifiées dans les rapports en question se sont accentuées depuis le début de la guerre en Ukraine. Elles concernent l’appui de feu indirect au sol et dans les airs, la défense antichars, la défense sol-air de courte et moyenne portée, la mise en réseau de capteurs pour l’établissement d’une image de la situation ainsi que l’approvisionnement en munitions et en matériel.

Les scénarios de développement des forces armées

Conformément à la méthode de développement des forces armées axé sur les capacités présentée au chapitre 3.2, différents scénarios, qui pourraient aussi survenir en Suisse dans les années à venir, ont été élaborés. Il s’agit d’événements et de développements exposés de manière générique, en fonction des menaces et des dangers, tels qu’ils sont évoqués dans le rapport sur la politique de sécurité 2021.

Les scénarios vont de la simple menace de faire usage de la force armée jusqu’à des opérations terrestres étendues, en passant par les provocations de groupements non étatiques. Depuis la crise libyenne qui a duré de 2008 à 2010, il est clair que la Suisse peut elle aussi être touchée, subitement et sans préavis, par des mesures drastiques que prendrait un État étranger; selon les circonstances, le gouvernement, l’économie et la société suisses pourraient subir des dommages majeurs.

Depuis la guerre en Ukraine, le scénario d’une attaque militaire par une grande puissance apparaît plus plausible que par le passé. Selon le rapport complémentaire au rapport sur la politique de sécurité 2021, une attaque armée directe contre la Suisse est certes considérée comme improbable, mais il n’en reste pas moins qu’une telle évolution ne peut être ignorée, surtout au vu de ses conséquences potentiellement désastreuses.

Les quatre principaux scénarios sont décrits ci-après dans les grandes lignes.

L’évaluation des quatre scénarios de développement des forces armées

Les scénarios esquissés ci-dessus sont évalués quant à leur probabilité d’occurrence et à l’ampleur des dommages escomptés. Le Conseil fédéral utilise à cet effet la même terminologie que le Service de renseignement de la Confédération dans ses rapports annuels de situation. Sur l’échelle ascendante, les menaces sont qualifiées de «plutôt probables», «probables», «très probables» ou «extrêmement probables», alors que, sur l’échelle descendante, elles sont qualifiées de «plutôt improbables», «improbables», «très improbables» ou «extrêmement improbables».

Les variantes d’orientation de l’armée

L’armée a élaboré trois variantes pour l’orientation de l’armée à long terme, qui sont plus ou moins fortement axées sur les scénarios 2, 3 et 4. Il en résulte trois profils de capacités distincts, qui prévoient un développement variable dans les différents domaines de capacités, selon les exigences liées aux scénarios à maîtriser. Se préparer en priorité à une attaque à distance (scénario 2) exige par exemple une capacité d’action prononcée contre des cibles dans les airs, afin de pouvoir combattre des missiles balistiques ou des missiles de croisière.

Indépendamment de leur orientation, les trois variantes ont les points communs ci-après:

a) Elles partent de l’hypothèse que le budget de l’armée va augmenter progressivement, pour atteindre 1 % du PIB en 2035,

b) Elles sont conçues de manière que l’armée puisse fournir des prestations d’appui aux autorités civiles dans la même mesure que par le passé,

c)
Elles prennent en compte le renforcement généralement nécessaire des capacités dans les domaines «Conduite et mise en réseau» et «Renseignement intégré et capteurs», qui revêtent dans tous les cas une importance cruciale pour la capacité d’engagement de l’armée,

d)
Elles permettent de garantir au minimum le maintien au niveau actuel des prestations de l’armée dans le domaine de la promotion militaire de la paix,

e)
Elles tiennent compte d’une coopération internationale intensifiée, afin de renforcer la capacité de défense de l’armée.

Compte tenu des réalités technologiques ainsi que de celles liées à l’économie de l’armement et à l’exploitation, une telle coopération est indispensable. Une coopération internationale plus étroite offre en effet à l’armée de nouvelles possibilités, en particulier dans les domaines de l’instruction et de l’acquisition d’armements. Dans le cadre d’initiatives internationales, la Suisse pourrait par exemple acquérir ou maintenir la valeur de ses systèmes principaux, en collaboration avec des partenaires.

Le profil capacitaire requis pour assurer la capacité de défense de l’armée

L’armée a pour rôle de prévenir la guerre et de maintenir la paix. Elle doit assurer la protection du pays, de la population et des infrastructures critiques, préserver la souveraineté aérienne et être en mesure d’appuyer les autorités civiles. Elle fournit par ailleurs des prestations dans le cadre de la promotion militaire de la paix à l’échelle internationale. Selon le projet du Conseil fédéral du 29 septembre 2023 Stratégie de politique extérieure 2024‒2027, la Suisse développera encore ses contributions de qualité dans ce domaine. Afin de pouvoir s’acquitter de toutes ces tâches, un large profil de capacités axé sur les conflits hybrides, défense contre une possible attaque armée comprise, est nécessaire.

Le développement capacitaire requis pour l’armée

Si l’on compare le profil de capacités de l’armée actuel avec celui de la variante 2, privilégiée par le Conseil fédéral, il y a aujourd’hui des lacunes notamment dans les domaines de la conduite et de la mise en réseau ainsi que du renseignement intégré et des capteurs. C’est également le cas en ce qui concerne les capacités requises pour produire un effet au sol, dans les airs ainsi que dans le cyberespace et l’espace électromagnétique. Afin de combler ces lacunes, les actions ci-après sont particulièrement nécessaires.

À court terme, il faut améliorer la capacité de conduite de l’armée, en mettant en œuvre intégralement les projets en cours (centres de calcul du DDPS, Réseau de conduite suisse, télécommunication de l’armée). Il faut par ailleurs acquérir un nouveau système de conduite et d’information, tout comme des véhicules de commandement protégés. Les demandes concernant deux petites tranches d’acquisition de ces véhicules pourront être présentées d’ici la fin des années 2020, une demande concernant une autre tranche plus importante suivra ultérieurement.

Le renseignement intégré doit de son côté être renforcé en élargissant l’éventail de capteurs, ce qui sert avant tout à la surveillance de l’espace aérien. D’autres moyens de défense sol-air sont par ailleurs nécessaires pour se protéger contre les menaces venues du ciel. Il est notamment prévu de soumettre au Parlement une demande pour le développement des capacités de défense contre des cibles à moyenne distance à la fin des années 2020. Le renouvellement des moyens de défense sol-air à courte distance est pour sa part prévu dans les années 2030.

Il est prévu de renforcer l’effet au sol grâce à l’acquisition d’un nouveau système d’artillerie à roues et d’un missile sol-sol, alors que le char de combat Leopard sera une nouvelle fois soumis à un programme de maintien de la valeur. Afin d’améliorer la capacité à durer au sol et dans les airs, des acquisitions complémentaires de munitions sont nécessaires.

Dans le cyberespace et l’espace électromagnétique, l’accent est placé sur le développement du commandement Cyber ainsi que sur la guerre électronique. Dans les autres domaines, il s’agira de maintenir les capacités actuelles, par exemple en préservant la valeur de l’hélicoptère léger de transport et d’entraînement et en modernisant les postes de secours sanitaires mobiles.

À moyen terme, des investissements sont nécessaires dans la logistique et dans la mobilité aérienne. Dans la logistique, il faudra par exemple bientôt remplacer des machines de chantier et des systèmes de ravitaillement en carburant. En revanche, le remplacement prévu de camions et de remorques peut être repoussé à plus tard. Afin de maintenir la mobilité aérienne au niveau actuel, la flotte des hélicoptères de transport mi-lourds devra être renouvelée dès le début des années 2030.

D’autres investissements doivent être effectués à moyen terme au profit des forces terrestres. Il s’agit d’une part de maintenir la capacité d’action directe, pour laquelle des véhicules protégés équipés de missiles antichars intégrés pourront être utilisés, et, d’autre part, d’étendre la capacité d’action indirecte, au moyen de lance-roquettes.

À long terme, des investissements sont nécessaires dans la mobilité non protégée et protégée ainsi que dans la capacité à durer. Pour la plus grande partie, ces investissements ne seront effectués que dans la seconde moitié des années 2030 et n’auront donc une influence sur le niveau de capacités qu’à partir de ce moment-là.
Enfin, dès 2035, il faudra remplacer de nombreux systèmes au sol arrivés à la fin de leur durée d’utilisation dans les années 2020, mais dont la mise hors service a été reportée.

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