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InformationsPublié le 28 mai 2024

Engagement dans une mission de l’ONU : hier et aujourd’hui

Effectuer un engagement de promotion de la paix au sein d’une mission de l’ONU comporte de nombreux défis. Mais c’est une occasion unique d’acquérir une expérience dans un contexte international. Le brigadier Serge Pignat, commandant de la brigade mécanisée 1 et ancien observateur militaire de l’Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST), et le capitaine Andreas Winkelmann, qui participe actuellement à la même mission, racontent leur vécu.

Depuis 1990, l'Armée suisse participe à l'ONUST au Moyen-Orient.

Quelles ont été vos premières impressions de la zone d’engagement ?

Br Pignat : Comme pour tous les nouveaux observateurs militaires, mon engagement a débuté en 2003 par une instruction axée sur l’engagement, centralisée au quartier général de l’ONUST à Jérusalem. J’ai ensuite été déployé quatre mois sur le plateau du Golan, avant d’être muté au Sud-Liban pour les huit mois restants. Je me souviens avoir été plongé immédiatement dans un environnement bien différent du nôtre, culturellement, historiquement, géographiquement et du point de vue sécuritaire.

Cap Winkelmann : En raison de la situation tendue, je n’ai pas effectué d’instruction à Jérusalem et me suis rendu directement au Liban, où l’expérience a été intense. Déjà lors des deux semaines d’introduction au QG de l’Observer Group Lebanon (OGL), des explosions répétées alentour ont fait trembler le bâtiment : un avant-goût de ce qui m’attendait dans la zone d’engagement. Sur le chemin de la base de patrouille, j’ai constaté pour la première les effets du conflit actuel et vu des routes marquées par les impacts de mortiers, des maisons détruites et des villages déserts. Peu après notre arrivée au camp, des roquettes volaient déjà au-dessus de nos têtes, interceptées ensuite à l’horizon par le Dôme de fer israélien. J’ai pu entendre leur riposte sous forme de tirs d’artillerie depuis le bunker le plus proche. Mais maintenant, tout ça fait partie de mon quotidien.

Quelles ont été et quelles sont les principales difficultés rencontrées pendant votre engagement ?

Br Pignat : Les premiers mois en Israël ont été plutôt calmes. J’ai été marqué par la présence soutenue des officiers de liaison des forces armées israéliennes (IDF) lors des inspections des positions IDF et par les nombreuses restrictions imposées en matière d’horaires d’observation et de moyens autorisés. La deuxième partie de la mission a été beaucoup plus agitée, avec de nombreuses actions de part et d’autre de la ligne bleue, qui sépare Israël et le Liban, entre tirs de RPG et roquettes du Hezbollah et réactions israéliennes sous forme de feu d’artillerie ou d’engagements d’hélicoptères d’attaque sur les positions du Hezbollah, toujours à proximité des positions de l’ONU. À l’époque, la sécurité de toute la zone n’était assurée que par deux bataillons d’infanterie en provenance du Ghana et d’Inde, faisant partie de la mission de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Les rares exercices communs de renforcement de nos postes d’observation furent aussi divertissants que peu rassurants. Les protections balistiques des postes d’observation, des véhicules et des observateurs militaires de l’ONU étaient plus que rudimentaires. L’accès de plusieurs zones critiques nous était régulièrement refusé par le Hezbollah, de manière plutôt dissuasive. Le fait d’avoir en permanence un interprète local à nos côtés a été très souvent un atout en matière de conscience de la situation (situational awareness) et de désescalade.

Cap Winkelmann : Les défis actuels sont liés au conflit en cours. En ce moment, nous pouvons à peine patrouiller le long de la Ligne bleue. Le risque de tomber sur des mines, des ratés ou des pièges explosifs est omniprésent. Même dans le reste de la zone d’engagement, nos possibilités opérationnelles demeurent difficiles. Nous devons souvent annuler ou interrompre nos activités, car des cibles sont abattues dans nos environs proches et que nous devons nous mettre en sécurité. Le contact avec la population locale s’avère également compliqué. La plupart des gens ont abandonné leur village au Liban du Sud et ceux qui sont restés sont de moins en moins favorables à l’ONU. La conséquence en est que l’accès à des zones critiques nous est régulièrement refusé et que les patrouilles doivent faire face à une multiplication des comportements hostiles. Les peacekeepers ne constituent toutefois pas en principe une cible directe dans le cadre du présent conflit. Il existe néanmoins toujours le risque de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, et des personnes dans nos rangs ont malheureusement déjà été blessées.

Quelles raisons et motivations vous ont poussés à effectuer un engagement ?

Cap Winkelmann : L’engagement pour l’ONUST est ma deuxième contribution à la promotion de la paix. J’ai déjà passé un an au Cachemire pour l’UNMOGIP en tant qu’observateur militaire et officier d’état-major, un travail et une expérience que j’avais fortement appréciés. J’ai trouvé particulièrement enrichissant d’évoluer dans un environnement aussi passionnant et d’échanger avec la population locale et des officiers et officières du monde entier. Enchaîner avec un autre engagement n’en a été que la conséquence logique et j’ai toujours été intéressé par le Proche-Orient et ses multiples facettes.

Br Pignat : Comme jeune officier de carrière, engagé comme chef de classe à l’école d’officiers de l’artillerie, je ressentais le besoin de compléter mes expériences par un engagement à l’étranger. Le Moyen-Orient, avec tout ce qu’il implique en matière de complexité historique, culturelle, ethnique, religieuse et politique, m’est apparu comme un choix évident.

De quelles expériences vous souvenez-vous ou vous souviendrez-vous ?

Br Pignat : Les contacts internationaux dans ce genre de mission sont d’une richesse incroyable. Je suis resté en contact avec des camarades aux quatre coins du monde. J’ai la conviction que SWISSINT met à disposition de nos observateurs une instruction et un équipement de qualité, et que nos représentants n’ont pas à rougir de la comparaison en matière d’engagement international, de par leur formation, leurs compétences et leur attitude.

Cap Winkelmann : D’un point de vue militaire, je garde surtout en mémoire qu’il est essentiel de connaître sa zone d’engagement comme sa poche. Dans un environnement aussi imprévisible, il est crucial d’être capable de prendre des décisions en une fraction de seconde. Nous n’avons pas le temps de nous orienter à l’aide d’une carte et les aides techniques sont quasiment inutilisables en raison des brouilleurs. Il faut toujours savoir avec précision où se trouve le prochain point d’appui sécurisé ou, dans des cas exceptionnels, la prochaine installation médicale. L’exercice régulier des processus est également important, car ces compétences doivent être maîtrisées en cas d’urgence. En tant qu’officier de milice, il est également agréable de constater que nous n’avons pas à rougir en comparaison aux officiers et officières de carrière étrangers. Les compétences et le professionnalisme des militaires suisses sont très estimés au sein des missions internationales. Notre expérience dans le domaine civil est aussi utile dans le domaine militaire.

Comment s’est déroulée votre instruction en vue de l’engagement ?

Cap Winkelmann : Avant mon engagement, j’ai suivi le Swiss United Nations Military Observer Course (SUNMOC) dispensé par SWISSINT à Stans-Oberdorf, ce qui m’a préparé à mon travail d’observateur militaire. S’en sont suivi des cours préparatoires et des instructions techniques spécifiques à l’engagement. Enfin, dans le secteur où se déroule la mission, des militaires d’expérience nous forment directement sur le terrain.

Br Pignat :  A Après avoir réussi la procédure de sélection, j’ai suivi le Swiss United Nations Military Observer Course (SUNMOC) de quatre semaines, qui se déroulait alors encore à Bière. Une fois la fonction et la région attribuées, j’ai suivi le cours de préparation à l’engagement, à l’époque à Muri, avant d’être déployé.

Brigadier Pignat, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez transmettre à votre jeune camarade actuellement en mission ?

Comprendre le conflit dans toute sa complexité et, comme en haute montagne, écouter son intuition. Mettre de côté certains moments de frustration face au système global, et continuer à apporter sa contribution au mieux. Stay safe !